Crises & pulsions de meurtre

« Son cœur battait violemment et ses pensées étaient

violemment agitées. »

Dostoïevski, Crime et châtiment, éd. Poche.

La nuit venue, Chams avait de plus en plus de mal à dormir,  énervé par la réaction de sa sœur, et enflammé par sa jalousie et son impuissance face aux événements, réalisant qu’il ne contrôlait rien. Et le jour, le prenaient des envies de dormir, de ne plus jamais se réveiller. Son équilibre biologique était complètement bouleversé. Il n’arrivait plus à écrire, à penser, à lire. Se concentrer lui demandait un tel effort, une telle abnégation, que cela était au-dessus de ses moyens. Le réel lui était insupportable, et de plus en plus pesant. Seul le sommeil lui permettait de ne plus être de ce monde, malgré ses cauchemars qui parfois hantaient voire exacerbaient ses angoisses, le poursuivant même dans son inconscient. Certainement, les effets de la rumination et des frustrations de la veille. Il était fatigué de sa situation, de sa vie. Il ne savait pas où était sa place. Il se sentait oppressé au niveau du thorax. Les insomnies nuptiales étaient de plus en plus récurrentes. Il ne faisait que se retourner dans ses draps en sueurs. Anissa aussi ne dormait pas beaucoup, et son corps ne cessait de lui envoyer des signaux d’alarme, d’autant plus, qu’elle en souffrait davantage : douleurs psychosomatiques, colique néphrétique, mal de reins, mal des intestins, etc. Chams croulait sous la culpabilité face à ces stigmates qui affectaient le corps de sa femme : psoriasis, problèmes pelliculaires, cernes, etc. Chams pensait qu’il ne méritait plus de vivre, et Anissa qu’elle allait bientôt mourir. Il s’en voulait et réalisait avec effroi ce que sa femme lui avait dit : « tu es l’incarnation de l’égoïsme et du narcissisme le plus pur ». Et cela lui renvoyait aussi l’image de sa sœur. Il savait que le soleil (Chams) et la nuit (Leïla), n’étaient que les facettes d’une même réalité familiale obscure et tragique. Chams ne supportait plus ses journées à déposer les enfants à l’école, à jouer un rôle, à se monter la tête qu’il était en passe d’écrire un grand roman, tout en essayant de montrer une bonne mine aux autres parents d’élèves, alors qu’en réalité il était au plus bas. L’inspiration n’était plus là, bien qu’il eût écrit une ébauche qui croupissait depuis des mois sur sa table de travail, peut-être un début ou une introduction. Anissa aussi, bien qu’essayant de remonter la pente, était dans un état encore plus délabré : elle se rendit compte de sa terrible solitude, plus aucune figure du père ou masculine n’était là pour la soutenir, l’épauler, la rassurer, la réconforter. Hormis Philippe qui parfois au téléphone lui remontait le morale. Elle pleurait souvent en se cachant à la vue de son mari, de ses enfants et de sa famille, dans une prostration et un silence total. Elle réalisait seulement maintenant qu’elle faisait vraiment le deuil de son père, et cela était d’autant plus cruel qu’elle avait l’impression que personne ne pouvait ressentir sa déception et sa peine, pas même son mari. Sabah, sa mère voyait bien la tristesse de sa fille, mais elle ne la comprenait pas, surtout dans cet entêtement qu’elle avait à vouloir comprendre le pourquoi de l’infidélité des hommes et l’hypocrisie et la médiocrité du monde qui l’entourait. « La majorité des femmes sont passées par là, lui disait sa mère. Faudra bien que tu lui pardonnes un jour ». Oui mais Anissa n’était pas la majorité des femmes. En effet, Anissa ne supportait plus ces collations entre femmes maghrébines où les unes et les autres ressassaient la médiocrité de leurs conditions et leurs déceptions à l’égard de leur mari ; et parallèlement, les hommes de leur côté, qui noyaient leurs soucis familiaux dans des parties de cartes ou autres matchs de foot, en buvant un thé à la menthe ou un expresso dans le café du coin : perpétuant ainsi ce fameux modèle de la séparation des sexes, ou ce que Philippe qualifiait d’homo-érotisme typique des sociétés musulmanes.  A cela, le chômage et la précarité de leur situation n’étaient pas là pour faciliter les choses. Il fallait qu’ils s’en sortent, qu’ils changent, qu’ils évoluent. Ils le savaient, arrêter de se morfondre et avancer. Se construire et se réaliser individuellement, socialement et professionnellement, et non plus selon les attentes de la famille et les contraintes de la communauté. Penser davantage au JE, comme le prophète orphelin se nourrissant de ses années de solitude et de vicissitudes, plutôt qu’au NOUS communautaire étouffant et pesant bien qu’il paraisse réconfortant et sécurisant. Construire le JE avant le NOUS, exister pour SOI d’abord pour mieux être en phase avec le NOUS : depuis Socrate tous les philosophes avaient compris cela. Le lendemain matin Chams avait des pulsions de meurtre. Surtout lorsqu’il passait devant les Auto-écoles de son ex-patron et de ses ex-associés. Il imaginait parfois rentrer chez les Pratt ses ex employeurs, vêtu de noir et portant une cagoule, les attacher sur une chaise et les torturer patiemment en leur retournant les ongles, et en leur frappant l’extrémité des pieds et des mains à coup de marteau. Puis les jeter dans leur piscine et les laisser se noyer, ou encore les étriper à coup de couteau de cuisine. Mais en réalité, il n’éprouvait pas autant de haine à leur égard que ce qu’il ressentait envers Alex et Imran. La manipulation et l’escroquerie était quelque chose qu’il haïssait au plus profond de lui-même, surtout quand celle-ci était le fait de gens considérés comme des potes ou des amis. Et puis, c’était juste une façon d’évacuer cet excès de colère mentalement, les Pratt n’étaient plus que de petits vieux, ils faisaient presque de la peine. Que leur restait-il ? L’argent ? Même s’ils s’en sortaient bien dans toutes ces affaires judiciaires, n’ayant pas mis la clé sous la porte, leur réputation de magouilleurs allait leur coller à la peau jusqu’à la fin de leur vie. Et après ? De toute façon, ils allaient bientôt mourir comme chacun de nous.  Quant à Alex et Imran, Chams avait une envie de rentrer dans le bureau de ses ex-associés et de tout saccager, d’y mettre le feu. De leur crever les pneus des voitures-écoles. De crever les yeux d’Imran et de lui couper la langue pour ses mensonges. De planter une barre de fer dans le cul d’Alex et de lui arracher les couilles et de les lui faire bouffer, et de le laisser mourir à petit feu au fond d’un précipice ou d’un container pieds et poings liés, et la bouche obstruée par un mouchoir recouvert de scotch. Le laissant mourir dans sa morve et sa pisse, pour venir de temps à autres jouir de ce spectacle et de le découper en petits morceaux à l’aide d’un cutter ou de lui briser les membres à coup de marteau. Un remake du fameux film Saw. Pourquoi ne pas les brûler et les découper à coup de chalumeau comme le ferait Wallace dans Pulp Fiction ?  C’est là que Chams comprenait l’importance du cinéma qui permet d’évacuer toutes les frustrations et les rancœurs. Le même genre d’exutoire que les arènes romaines où le peuple voyait les gladiateurs entre-tuer, comme si l’Homme pour calmer ses ardeurs vengeresses ou révolutionnaires avait besoin de voir du sang ou du sexe. Parfois Chams imaginait aussi rencontrer Alex dans un coin de rue, la nuit, et de lui planter un tournevis dans la carotide, ni vu ni connu. Et de le laisser crever là, à le regarder se vider de tout son sang, surtout lorsqu’il se rappelait l’altercation qu’il avait eu avec lui alors qu’il était encore associé :

_On avait dit que je me verserai un salaire de 500 euros chaque mois, avait hurlé Chams de colère.

_Ah mais les choses ont changé Chams ! On a eu des frais très importants, répondit Alex hypocritement.

_Mais vos frais, c’est du gaspillage. C’est de la mauvaise gestion de votre part. Je n’en suis pas responsable. Et c’est ce qu’on avait convenu avant de nous associer, et puis n’oublies pas que je n’ai pas le droit au chômage depuis que j’ai démissionné des Pratt et que j’ai des enfants à charge. J’ai des factures à payer. 

_J’en ai rien à foutre que tu aies des enfants à charge… fallait pas en avoir.

_Répète ce que tu viens de dire espèce de petit bobo de merde. Mais tu te prends pour qui ? Pour mon patron ? Rappelle-toi, on est des A-SSO-CIES !

Si ce n’était Imran qui les avait séparés, Chams aurait certainement frappé Alex. Tous ces souvenirs revenaient comme des afflux sanguins qui irriguaient ses membres et ses tempes prêtes à exploser. Récemment encore lorsqu’il s’était arrêté à un feu tricolore devant un local qui allait être aménagé en boutique de réparation informatique. Alex sur le trottoir au milieu de sa meute, interpella :

 _Oh mais qui voilà ! Eh ! Le smartphone que tu utilises là, il appartient à la boîte !

Chams profitant du feu rouge, avait jeté un vif coup d’œil à son téléphone pour voir qui l’avait appelé. Sur un coup de sang, suite à cette provocation, Chams fit un demi-tour tonitruant à coup de frein à main et dérapa sur le gravier du bas-côté de la route qui longeait la nouvelle enseigne : un bricolage de pancartes écrites à la bombe, où l’on pouvait lire « RTC : Réparer Tes Circuits », qui augurait plus de l’amateurisme que du professionnalisme. En réalité Alex n’avait toujours pas digéré la démission de son ex-associé. Et il enrageait de le voir au côté d’une jolie demoiselle, qui n’était qu’une collègue d’Anissa que déposait Chams chez elle comme le lui avait demandé sa femme.

_Tu veux quoi espèce de petite merde ? s’écria Chams tout en descendant de sa voiture.

_Ouais fait le beau devant ta jolie copine, espèce de lâche, maugréa Alex. Pourquoi tu t’attaques à moi ? Pourquoi tu ne t’en prends pas à Imran ?

_C’est Imran qui a ouvert sa grande gueule au feu rouge ?, demanda Chams. Non, c’est toi… espèce de trou du cul, de petite fiotte. Tu fais le malin parce que tu es là avec toute ta meute de toxicos. Mais tu n’es qu’une merde, tu n’as pas de valeurs… Ah, ah ! ricana Chams sarcastique, tu dis à tout le monde sur Facebook que tu es PDG ! MDR (Mort de rire en langage Facebook). Tu n’arrives même pas à t’en sortir et à embaucher un salarié. Je ne donne pas long feu à ton Auto-école, au maximum cinq ans (en effet en moins de trois ans celle-ci était en liquidation).

_Ouais ! riposta Alex piqué sur le vif, tu vois cette boutique, on va la transformer en boîte informatique et on va se faire des couilles en or.

_Mais qu’est-ce que je m’en fous de ta boîte de merde, sourit Chams moqueur. Ça va être encore un de vos squats de toxicos ?

« Oh ! Oh ! », s’écria la meute prête à en découdre, « tu as fini de nous insulter ! Chams ne nous mêle pas à ça, on a rien à voir là-dedans »

_ Humm, grommela Chams. Ouais, c’est ça pensa-t-il, bande de sales petits bobos hypocrites et racistes. Ce n’est pas vous qui aviez dit à Alex que des arabes gérants c’était mal vu, que ça faisait communautaire ?

Et Alex de renchérir, « Et celle-là (en désignant la collègue d’Anissa assise côté passager) tu te l’aies faite aussi, comme ta vietnamienne ?

Chams ne put contenir sa colère. Il s’écria :

_C’est toi qui me parle de ça ?! L’hôpital qui se fout de la charité, alors que ton objectif premier est d’utiliser l’Auto-école comme squat et comme baisodrome, vitupéra Chams. Et c’est ta mère que je me suis faite, espèce de petit pédé.

_Moi aussi c’est la tienne que j’aie baisé, s’étrangla Alex.

_On se reverra, et crois-moi que tu feras moins le mariole quand on sera seuls et face à face, d’homme à homme.

A bien y penser, ils n’en valaient même pas la peine : des losers. Chams reprit enfin la route, furieux contre lui-même surtout. Il déposa la collègue de sa femme en bas de chez elle et s’excusa de toute cette scène avec ses ex-associés. Celle-ci sourit en disant que ce n’était rien, et toisa Chams du regard comme si elle le voyait pour la première fois, avec cet air espiègle qu’ont les femmes lorsqu’elles veulent faire impression ou imprimer leur image dans la conscience du type qui les regarde, en battant des paupières et en s’attardant sur l’encadrement de la porte de l’entrée du bâtiment tout en se cambrant légèrement faisant semblant de chercher ses clés, comme une invitation à peine voilée. Mais Chams n’était pas d’humeur, même si son missile à tête chercheuse (sa bite) lui disait le contraire. Toutes ces altercations et ces souvenirs bouillonnaient en Chams comme une cocotte-minute prête à exploser. Il en avait parlé à son avocat de ces deux malfrats Alex et Imran, et celui-ci lui avait expliqué qu’il avait subi un abus de confiance de la part de ses ex-associés. Chams enrageait d’avoir été aussi naïf et d’avoir cédé aussi facilement sa part, et qu’il aurait pu être associé majoritaire. Mais leur faire un procès aurait été compliqué, et aurait rajouté des soucis en plus. Il ne pouvait se le permettre, d’autant plus qu’il n’avait pas encore réglé son litige contre les Pratt de l’Auto-école Francky. Il faisait chaud. Les prémices de l’été se faisaient sentir. Puis il se décida d’amener son fils Ilyès pour répéter avec ses camarades de classe son spectacle de théâtre de fin d’année. La serrure de la portière de sa voiture commençait à coincer, et Yasmine et Amine ne cessaient de s’agiter en se chamaillant, ce qui l’énerva fortement. Il cria, « bon, vous avez fini de m’emmerder ?! Oui ou merde !! ». Yasmine se renfrogna en croisant les bras, « t’es pas gentil papa, tu dis des gros mots ». Ils montèrent dans le véhicule. Il faisait chaud, la climatisation tardait à faire son effet. Il démarra et roula en respectant les limitations de vitesse, alors que derrière lui s’agitait un type qui faisait des appels de phare, des coups de klaxon, apparemment mécontent d’un tel civisme et du respect du code de la route. Il fit des bras d’honneur en direction de Chams, et une fois le feu vert allumé, il le dépassa en trombe en faisant siffler les pneus, lançant un « connnaaardd tu ne peux pas rouler plus vite !! ». Le sang de Chams ne fit qu’un tour. Il accéléra lui aussi, et arrivé à hauteur de l’automobiliste, il baissa sa vitre et lui fit un doigt d’honneur à son tour. Celui-ci n’en croyant pas ses yeux, changea de file pour revenir se coller derrière la voiture de Chams. Ils engagèrent alors une course poursuite, grillant feu jaune, et dépassant les limitations de vitesse. Chams sentit une montée d’adrénaline et une inquiétude l’assaillir, se demandant si ce petit jeu allait durer encore longtemps. Jusqu’à que, trop concentrer à regarder derrière dans la lunette arrière le visage de l’automobiliste se tordre en insultes et en colère, il freina brusquement pour ne pas heurter la file de voiture qui était devant lui. Le type descendit de son automobile, muni d’une barre de fer, prêt à en découdre. Chams regretta de ne pas avoir de batte de baseball ou de bombe lacrymogène. Le type hurlait en postillonnant, en crachant et en frappant sur la vitre de sa portière côté conducteur, « descend ! Descend ! Si tu es un homme ». Les enfants pleuraient. Chams fixa le type, en lui disant « calme-toi ! Calme-toi ! ». Il se retourna pour rassurer ses enfants, pendant que l’autre continuait à taper et à cracher sur la vitre. Chams sentit tous ses membres frémir, une fraction de seconde il se sentit sortir du côté passager et de se battre contre ce type, et de lui faire mordre l’asphalte. Il s’imaginait se prendre un premier coup de barre de fer sur l’avant-bras, afin de bloquer ou d’immobiliser l’arme, puis de lui faire une clé de bras comme il avait appris au jujitsu, et enfin le rouer de coups de poings, mais il y avait les enfants qui pleuraient et qui voyaient tout. Il serra son volant de résignation et de rage, ne voulant pas laisser une image aussi violente de leur père à ses enfants. Parce que personne ne pouvait s’imaginer le degré de colère et de rage qui enflammait ses membres. Puis, tout tremblant, il redémarra et le type continua à gesticuler en insultes et en menaces à côté de son véhicule. Il alla même jusqu’à cracher un gros mollard bien visqueux sur la vitre arrière. Chams savait que le Tribunal d’A* était inflexible et expéditif lorsque deux maghrébins se battaient comme des charretiers sur la voie publique : une histoire d’arabes circulez, y a rien à voir !, verdict, les deux protagonistes condamnés. Et il savait que ce n’était pas le lieu, ni le moment, d’autant plus qu’il était déjà en procès avec son ancien employeur. Le feu passa au vert, et Chams démarra en trombe, laissant le malpropre sur la chaussée éructant comme un fou furieux. Les autres conducteurs étaient tout aussi choqués, personne n’appela la Police. Et puis le trafic reprit son court normal. Chams était furieux et tremblait encore de colère. S’il n’y avait pas eu les enfants à l’arrière, il serait certainement descendu. Mais il ne voulait pas infliger ce pitoyable spectacle à sa progéniture.  Au déjeuner les enfants racontèrent la scène à leur mère.

 _Qu’est-ce qui s’est passé Chams ? lui demanda-t-elle affolée.

_Oh rien, juste un connard. S’il n’y avait pas eu les enfants, je lui aurais bien mis mon poing sur la gueule. Toute ça parce que je respecte le code de la route et les limitations de vitesse. Monsieur était trop pressé. »

Et dans l’après-midi au théâtre, qu’elle ne fût pas sa surprise. Quelqu’un lui tapota l’épaule, c’était le chauffard ! Sa fille était une camarade de classe d’Ilyès, et était sur la scène du théâtre pour jouer la pièce de fin d’année. Qu’est-ce que le monde est petit, pensa Chams.

_C’est toi qui m’a traité de pédé tout à l’heure sur la route ?, murmura le malotru.

Chams le fixa droit dans les yeux comme s’il allait le manger.

_Tu te fous de ma gueule. Tu me fais un doigt d’honneur, je t’en fais un aussi. Et en plus de ça, tu t’excites, tu craches sur ma voiture, tu me menaces. Puis Chams enchaina en arabe : Sma3 (écoute), khouya (frérot), je vais te dire…

_Quoi sma3 ?, s’étonna le type. Chams vit une lueur de surprise dans le regard de l’agresseur, comme s’il ne s’attendait pas à ce que Chams soit d’origine maghrébine. Puis se ravisa et retourna auprès de sa femme. Chams fit de même et déclara à Anissa :

_Tu te rappelles le connard qui m’a agressé sur la route tout à l’heure ?

_Non. C’est pas possible, écarquilla des yeux Anissa.

_Comme quoi le monde est petit. Tu imagines, sa fille est dans le même collège que notre fils ! C’est un parent d’élève ! Mais ils sont malades les gens ! Franchement j’avais envie de le fumer là devant tout le monde.

_Oui, j’ai vu ça. Mais il ne faut pas que tu tombes dans son jeu, s’inquiéta Anissa. Tu fais ça, mais la Police débarque aussitôt, et quelle image vous donnerez aux autres parents, deux arabes qui se tapent dessus ! Et puis, pour la réinscription de notre fils au collège l’année prochaine, ça n’est même pas la peine !

_Sinon je vais régler ça à la sortie. 

Chams serra les clés de la voiture dans sa main droite, de sorte à ce que celles-ci dépassent entre ses doigts, et il imagina dès le premier coup de poing sur la tempe ou sur la carotide, le sang jaillir, et le type tomber lourdement ; puis le finir à coup de pieds sur le visage, comme dans le film Drive de Nicolas Winding Refn, adapté du roman de James Salis, où Ryan Golsling dans le rôle principal achève un type dans l’ascenseur en lui défonçant le visage à coups de talon.

_Tu es fous ! s’écria Anissa en chuchotant. C’est se rabaisser au niveau de ce minable. Encore un raté, un frustré qui en a marre de sa vie. Si tu fais ça, tu ne vaux pas mieux que lui.

Cela eut comme un effet de douche froide, et calma les pulsions de mort qui habitaient Chams. Il avait envie de crier. Il repensa à la remarque de Philippe, « tu dois quitter ce monde de prolétaires, Chams tu es un intellectuel, un écrivain, un penseur », comme si les écrivains étaient exemptes de toute forme de violence.

_Si tu tiens tant que ça à te défouler, murmura Anissa, tu n’as qu’à reprendre le sport, ou reprendre le jujitsu.

Chams ne put s’empêcher de sourire, car ces entraînements de jujitsu remontaient à ses dix-sept ans. Il avait encore quelques notions de clé de bras, de gestes maintes fois répétés pour stopper une attaque et utiliser la force de l’adversaire pour lui péter un coude ou un genou. Mais il n’était plus très sûr de ses techniques d’arts martiaux.

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