Mes Picasso

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Lune, voie lactée au dessus de sa tête, toute vêtue d'orange, tâchée comme un léopard, fauvisme, boa vert, rouge à lèvre, diva, Femme au chapeau bleu… 

Corps nus d'amants debout, l'un contre l'autre, amour mort, froid, face à eux une mère sévère portant un enfant; entre eux, deux cadres, un portrait type recroquevillé seul comme un embryon, et plus loin deux corps enlacés et recroquevillés souvenir d'une union… et lui seul comme la mort, un linceul, le suicide, bleu, tout est bleu… la couleur du malheur, du deuil… adieu l'ami… Les survivants, tenir bon le manche, le cap, au Bateau-Lavoir… 

Famille misérable, pauvreté, le père, l'enfant, et la mère... des reproches, des regrets, de la désolation... La mer bleue, le sable bleu... stérilité, pas de coquillages, pas d'oiseaux, pas de poissons, pas de vagues, les yeux baissés, la honte, le froid bleu… tout est bleu… encore la couleur de la douleur… d'un amour mort… Bientôt le soir...

Période rose: Corneille noire toute noire, contre elle, près de sa bouche, lui susurrer des mots, redonner la vie… elle a les ailes d'un ange orange sur fond violet, genre de vitrail, visage illuminé, baiser d'une sainte... mais où est l'Eglise?... Pensifs, elle et l'oiseau, en communion… La mort, la vie… en méditation…

Pas de sourire, femme à la chemise transparente… traits du visage saillants, déterminée, stricte... pourtant, désir d'un sein, en forme de poire, lumineux… sortie des ténèbres… début de la passion...

L'une dénudée… femmes en vis à vis… L'autre habillée portant un miroir… parterre orange, murs à la chaux salie, vieillie, vaporeux... Corps parfait, beauté antique... La toilette… 

Accélération, concurrence, révolutions... Bouleversements philosophiques, métaphysiques, artistiques, épistémologiques… Les pas du surhomme… La mort de Dieu…  Retour à l'Antiquité… 

Ecrasée, retournée, femme nue… Toute de rondeur… Pubis… jambes retournées… Résister… Crier… En vain... Yeux éperdus… Tête vers le bas… à l'envers… Cheveux tirés… Seins dans sa gueule... imposante crinière, tout de muscles, se met à l'enculer, la posséder, la violer: Minotaure…

Demoiselles d'Avignon… Bain turc, étrange harem… femmes nues... miroirs éclatés… Corps découpés, en forme de morceaux de melons… cheveux lâchés, cheveux attachés, chignon... visage de gorille, de face, de profil, borgne… prostituées… fruits du désir ou nature morte… 

Pourquoi la modernité? Perte de sens, perte de repères… multiplicité des repères… Corps découpés, espaces quadrillés, tout répertorier, comptabiliser… Industrie… Cubes, cubisme, surréalisme… typologie… empaqueter… bâtiments industriels... Revenir à l'art primitif, aux masques africains… aux origines… subconscient, inconscient... Moi, Surmoi, ça... sculptures… querelle vaine entre modernes et anciens… Plus de frontière, toucher à tout, tous les sens… perte de sens… désorientés… 

Sur la côte d'Azur... Cannes, les baigneurs… Baudruches à l'allure de paresseux… Membres, ventre, tête, arrière train disproportionné… seins en forme d'obus… Au loin, robinet ou chasse d'eau, étrange bâtiment de croisière, genre Titanic… Tous avec petite bouche, petit nez, petits yeux, juste d'infimes traits... sensation de grande cuvette, de baignoire, jouent comme des enfants au bateau… machines humaines, inhumaines… Plus l'esprit à la fête, à la vie… plus d'humanité… des chars dans les esprits, morceaux de ferraille, pas de bouche, drôles de corps phalliques, juste des fentes pour regarder: genre de bunker ambulants, de char d'assaut… L'absurdité… 

Femme qui pleure, visage éclaté, yeux exorbités… Morceaux de corps… Coupés à la hache… Guernica… Espagne franquiste... souffrance, cris, corps torturés, esprits qui fuient… esprits de l'enfer... traumas, cauchemars… L'ossuaire...

Vite, vite, vite, retrouver des couleurs, retrouver l'amour… contempler la vie, sa vie, notre vie, comme le vieil homme au chapeau, assis… fuir le cauchemar… mais il revient encore, et encore… cyclique… Au brésil, en Amérique, en Europe partout des masses d'hommes: retour des fascistes… Ah! Te revoilà: encore la folie… la guerre… 

ZAHRA DJAM

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