L'ex-Gigolo…

 (Partie 1/2)

 

Comment je suis devenu Gigolo… vaste question. Je ne saurais le dire. Tout est arrivé si vite… je dirais même par accident. En fait, j’irais plus loin dans mon analyse. Devenir Gigolo ça n’est pas une vocation. C’est lorsqu’on fait le constat, un triste matin… pourquoi triste ? Non, un beau matin, en se levant et de se dire : j’ai raté ma vie. A partir de là, tout est possible. C’est sûr, je n’ai plus l’aplomb et la grâce de mes vingt ans quand j’attirais le regard des jolies minettes. D’autant plus, avec mon groupe de Rock, je pouvais me la jouer chanteur en devenir… apparemment, je ne suis rien devenu… personne n’a jamais entendu parler de moi. Sauf la voisine du dessus qui me demande de chanter moins fort dans ma salle de bain, parce que ça effraie ses oiseaux. Putain de merde, quelle idée de mettre des animaux en cage ! Merde. Déjà, ma voisine c’est une vieille, et elle représente tout ce que dans mon imaginaire je considérais comme impossible, quelque chose du genre outre-tombe ou zombie. Je ne dis pas que je n’ai jamais eu de grands-parents, mais au moins c’était les miens. Ils pouvaient me postillonner dessus ou me baver dessus, c’était quand même les mêmes gênes. Mais bordel, on m’aurait dit quelques années auparavant que j’allais niquer de la vieille ou leur mettre du talc sur leur corps ou leur masser les pieds ou leur faire un striptease, j’aurai juré mille fois Non, NON, NON, NON et NOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOONNNNN !!!!!

Il a fallu que ma femme me quitte, ou plutôt qu’elle me jette de chez nous. Même les enfants avaient trouvé ça normal. Je passais mes journées à tourner en rond. On ne faisait que se disputer. D’accord, être au chômage ça n’est pas une excuse, mais quand même. Ça faisait quand même cinq ans que je n’arrivais plus à trouver un emploi stable. C’est sûr, les études ça jamais été mon fort, mais quand je vois certaines pétasses, juste parce qu’elles ont tiré une pipe en dessous de la table d’un directeur des ressources humaines, se retrouver par la suite comme secrétaire particulière, ça me fout les boules. Tu la vois ramener le café au dirlo, et après les stores qui se baissent, plusieurs fois par jour, avec la pancarte Don’t Disturb, en anglais le truc… du coup ça fait plus pro, tu vois.

L’enculé, et toi tu trimes comme une merde, et lui, il lui pète la rondelle. Et puis, elle le sait, elle n’est pas la seule, mais elle s’en fout. Et puis, tout ça pour au final, parce que tu as dit un mot de travers à ça chouchoute, ben t’es viré. Ouah! Mission terminée, et à l’agence du travail temporaire, j’avais beau expliqué le truc, on me regardait genre : c’est quand même la gonzesse du patron. Ouais, j’avoue j’aurai dû la fermer. J’ai encore ramené ma grande gueule. Mais le plus jubilatoire, c’est quand elle s’est faite virée à son tour, parce qu’elle devenait trop possessive… pff, la conne ! 

Bref, revenons à nos moutons. Oui comment je suis devenu Gigolo… vaste question existentielle. De plus, ça fait déjà bientôt plus de quinze ans que j'ai commencé, que le temps passe vite! Des fois j’y repense en fumant un cigare parce que, aujourd’hui j’ai quand même pas mal d’oseille. J’ai coffré comme on dit. J’ai niqué aussi, à contrecœur… le viagra m’a aidé à bander. Et puis parfois, souvent même, elles ne me demandent rien d’autre que de me mettre nu à côté d’elles, comme ça elles se rappellent ce que c’est la présence d’un homme. Y en a même une qui m’a demandé de mettre un ruban autour de ma queue, j’étais son cadeau de noël. Par contre ce que je n’aime pas, et là je demande le tarif plein pot, c’est quand elles veulent que je leur roule une pelle… avec le dentier c’est pas évident, je vous assure. Faut y aller en apnée, et penser à tout sauf à ça. À ce moment-là, je pense aux voyages, aux filles plus jeunes que je vais rencontrer, à tous ce qui va me faire oublier cet instant fatidique, à du Senthol que je vais mettre dans la bouche, au dentifrice pour nettoyer tout ça, aux rasades d’alcool à 90 degré au moins ! M’arracher la gueule pour oublier.

A vrai dire, au début, j’avais tout misé pour devenir un escort-boy, via une agence qui mettait nos photos et notre profil sur le Net. Bien sûr, j’avais un peu triché, parce que j’avais mis des photos de moi plus jeune. Même si les demoiselles qui me rencontraient pour la première fois, me trouvaient assez charmant, et reconnaissaient mes traits de jeunesse. Souvent même, elles me trouvaient plus sexy. Je sais pas, c’est le fantasme de se faire son père ou le complexe d’œdipe. J’ai jamais rien compris à ces trucs. Mais moi ça m’arrangeait. Sauf que, lorsqu’on passait à l’étape supérieure, c’est-à-dire au-delà du repas et de la discussion galante, là parfois ça se gâtait. Il y a même eu des mécontentements. Imagine-toi la gonzesse qui me demande de lui faire un strip-tease, parce qu’elle a payé chérot pour avoir ce qu’elle veut. Sauf que patraque, elle me demande de retirer ma chemise. Et là, première déconvenue, elle remarque que j’avais mis une ceinture pour maintenir un ventre plat, pour faire illusion en somme. Georges Clooney et Jean Dujardin faut dire qu’ils ont les moyens d’avoir un diététicien et un coach sportif. Et puis faut dire que j’ai des problèmes de dos. Et quand j’ai enlevé tout ça, mon ventre s’est ramassé comme une avalanche de graisse, la bedaine qui pendouillait, et elle a poussé un cri ; sans parler des poils qui frémissaient comme des milliards de cils d’une araignée géante, et mes tétons comme des bourgeons au gré du vent. Et je lui disais pour rattraper le coup : _Et si je vous montrais mes cuisses, des vraies cuisses de footballeur, des années que j’en ai fait, que je lui ai dit ; elle répondit par la négative tout en parlant au téléphone, avec une moue de dégoût. Et si je vous montrais mes fesses, je sais que j’ai de belles fesses, c’était toujours un non. Et en désespoir de cause, j’ai fait tournoyer ma bite sous le caleçon, les couilles qui dépassaient, et là ça été la goutte qui fit déborder le vase. Elle m’a demandé de prendre mes clics et mes claques, elle m’a quand même payé. Ma queue aussi pendait à travers le caleçon et ça ne lui a pas plu. Elle a rappelé l’agence et demandé des explications : _Oui on m’avait dit qu’il avait un air de Tom Cruise, et là c’est plus Cruise que Tom, sans parler des cheveux grisonnants à la Clooney mais Clooney n’a pas de calvitie, et puis Rocco Sifriedi, il en est loin !

La salope ! La menteuse ! Elle n’avait même pas vu ma bite. Oui à travers mon caleçon rose pale, ça faisait un peu petit tipi avec son calumet de la paix, rien d’extravagant, mais quand même ! Il faut me motiver pour que je sois à mon maximum. La meuf elle croit que je vais lui faire une danse du ventre et avoir la gaule comme un taureau, à la rigueur si elle me présentait le point d’atterrissage, le triangle des Bermudes, cela m’aurait motivé pour m’envoler puis atterrir. Mais là, rien. Les jambes croisées, les bras croisés, la dame exigeante et qui rechigne sur la marchandise. Merde !

Oui, j’avais l’impression pour la première fois, que j’étais considéré comme un morceau de viande. Comme une merde. Pourtant je continue… Mais ce qui m’a le plus frappé, c’est que l’un de mes meilleurs amis ait jeté l’éponge. Il a arrêté le métier.

En effet. Qui l’aurait cru ? Octavio di Baggio est devenu un homme rangé, marié et père de deux enfants ? Mais que s’est-il passé ? Je n’en reviens pas. Lui qui était le plus grand séducteur et coureur de jupon, un vrai briseur de cœur. Lui pour qui la réputation était un principe fondamental. Lui qui riait des hommes mariés, « des hommes emprisonnés » disait-il. Qui revendiquait sa liberté de libertinage érigée en religion, et ayant comme livre de chevet Les 120 journées de Sodome du Marquis de Sade.

 « Faisons l’amour à deux, trois, quatre, cinq, six, dix s’il le faut… usons de ce que tous nos fantasmes nous suggèrent, du plus fantasque au plus pervers », disait-il souvent.

Allant de soirées branchées bobos, à partouzes, club d’échangistes, et devant de riches dames, Octavio était un vrai gigolo.

Quand je l’ai vu devant ce kiosque à journaux, sur le coup j’ai eu du mal à croire que c’était lui ; si ce n’était cette chevelure ondoyante si caractéristique de sa personne, toujours coiffée en arrière, et ce physique d’esthète qui avait tant séduit de femmes, bien que quelque chose avait significativement changé en lui ; je dirais plus de l’ordre de la posture que de l’élégance. Il paraissait toujours s’habiller avec la plus grande classe, sauf qu’il y avait un côté plus discret, plus dans l’humilité, comme s’il avait mûri, ce qui lui conférait un aspect de gentleman. Il avait perdu ce côté du dandy hédoniste destroy moderne ou genre de play boy bling bling, qui pour ma part me convient aujourd’hui encore _pour reprendre les spécialistes en communication et en image_ dans un objectif sémiologique d’être considéré et catalogué comme un membre de la Jetset ou partisan du bling bling, à l’instar de ma Lamborghini jaune flashy garée sur le bord du trottoir. Quant à lui, apparemment, il descendit d’une allemande classique, je ne sais plus si c’était une Audi ou une Volkswagen, suivi d’une femme, d’une petite fille et d’une poussette. Je ne pus m’empêcher d’aller à sa rencontre. Je voulais savoir pourquoi ce changement, pour ne pas finir comme lui. Pour cela, j’élaborai une ruse pour croiser son regard. Devant le kiosque, je fis mine de ne pas le reconnaître. Et m’approchant de lui, je pris un magazine et fis semblant de me heurter à lui, lâchant par terre tout ce que j’avais dans les mains. Il s’excusa, se baissa et ramassa. Il me reconnut : « Oh Gigi come staï (comment ça va) ? (Oui je m’appelle en réalité Guiseppe, mais on me surnomme Gigi dans le milieu). Ça fait longtemps, me dit-il.

Je fis semblant d’être surpris et de répondre, _mais c’est toi Octavio ? Ce n’est pas possible ! Qu’est-ce que tu deviens ? Toujours le même beau gosse à ce que je vois ! En réalité il avait légèrement pris du poids et de petites bonnes joues. Toujours célibataire ? Lui demandai-je sur un ton faux.

_Non, me dit-il en baissant les yeux comme pour me dire c’est fini cette époque.

_Comment ça ? Tu t’es résigné à n’avoir qu’une seule petite amie ?

_Mieux. Je suis marié et je suis papa.

_Tu n’as pas fait cette erreur, rassure-moi. Pas toi… Ce n’est pas possible.

_Oh si. Et je sais ce que tu vas me sortir, que se marier c’est pire que la prison, la corde autour du cou, etcetera, mais pas du tout. Je suis un homme comblé.

_Donc pour toi le véritable amour ça existe bel et bien alors.

_Oui, dit-il avec un léger sourire qu’il ne put s’empêcher de réprimer, au souvenir de tant de bringues et de soirées folles que nous avions passé ensemble.

_Raconte-moi donc. Comment l’as-tu connue ? »

Et il commença à me narrer toute son histoire faisant signe à sa femme qu’il la rejoindrait un peu plus tard. Ils se comprirent par clignement des yeux tant la complicité était évidente. Elle me salua d’une gracieuse inclinaison de la tête et partit avec les enfants faire les boutiques d’en face. Je pris un journal au hasard et le paya, et lui, il prit des magazines sérieux sur la politique et l’éducation, je ne le reconnaissais plus. Ce n’était vraiment plus le Octavio que j’avais connu.

Il commença son histoire :

« Il y a cinq ans de cela, je décidai de partir seul en vacances estivales, à l'aventure, loin des voyages organisés et autres tour opérateur. Je me sentais une âme d’aventurier, peut-être, allais-je découvrir une de ces amazones ou autre femme du désert pensai-je, caché sous son voile mais experte en jeux sexuels.

« J'étais fatigué des pleurs de nos femmes, de leur jalousie, des klaxons et du rythme de notre ville, Rome. Il nous arrive parfois à nous aussi italiens de vouloir quitter notre pays. N’est-ce pas ?

« Je voulais une femme soumise, pure et vierge. Une de ces femmes du désert ou fille de berger des plaines de l’Atlas, un fantasme dans ce genre.

« Oui, j’étais fatigué des ruptures sentimentales larmoyantes, des cris, des disputes, des limitations de vitesse, des procès-verbaux, des factures à payer, des caméras vidéo qui nous épient dans les magasins, des transactions bancaires, des gens qui se rentrent les uns dans les autres, à coup de klaxons de voitures, de carambolages de caddies, d’insultes, de colères, etc. Même s’il est vrai que nous ne sommes plus de ce monde-là, que nous nous faisons maintenant livrer à domicile ! Mais juste à la vue de tout ça, de la brume épaisse de pollution au-dessus de la ville que je perçois chaque jour du haut de ma terrasse ! Ah Basta ! Epuisé du rythme de notre vie, je n’en pouvais plus.

_Mais dis-moi, lui demandai-je, tu n’habites plus à la Villa Bella Gracia ?

_Oh, je la loue aux vacanciers et autres touristes, via une agence immobilière. J’habite maintenant en Argentine dans un coin reculé de toute civilisation, en Patagonie. Bon laisse-moi reprendre mon récit :

« Je résolus de partir par vol charter, je sais ça ne me ressemble pas, via une de ces compagnies qui vend des billets à bas prix, que l'on peut acheter sur Internet. Low-cost qu’ils appellent ça. Je voulais me fondre dans la masse, avec le peuple, marre de nos soirées privées entre rentiers et autres roturiers ou millionnaires richissimes. Et je me mis à la quête d'un ailleurs, sur le moteur de recherche Google. Je t’avouerais que ce n'est pas la meilleure manière de trouver un endroit unique, isolé, et pas ou peu connu du monde. Mais, c'était décidé. C'était là-bas que j'irai. J'avais préparé mes sacs de voyages, avec mes inséparables Gucci, Armani, Versace, Prada, Cerutti, etc. Sans oublier ma montre Roberto Cavalli, dont je ne me sépare jamais, toujours vissée à mon poignée, que ce soit sous la douche ou quand je fais l'amour.

« A l'aéroport, les hôtesses étaient toutes fines et belles. J'ai proposé à l'une d'elle de partir avec moi. Elle m'a souri, c'est déjà ça. « Eh, la classe on l'a ou on l'a pas ! »

_Ah là je reconnais bien mon pote Octavio, m’exclamai-je.

_Bref, un peu de sérieux, reprit Octavio comme pour couper court sur un ton embarrassé, quand l'avion a décollé j'ai prié le petit Jésus, la Madone, tous les saints. Je croyais que la carlingue allait céder, tellement les vibrations étaient fortes. On nous disait, « ne vous inquiétez pas, ce ne sont que des turbulences passagères ». Les femmes criaient. Tout le monde se cramponnait attendant la chute, ou plutôt l'atterrissage. Et une fois à terre, la première question qui me vint à l’esprit fut « mais comment je vais revenir en Italie? ». Mon dieu, l’avion ! Je ne voulais plus en entendre parler.

« Bref, enfin le pied posé à terre, j'étais dans une grande ville typique de ce pays. Il faisait chaud. Il n'y avait pas la climatisation à l’aéroport, on nous avait dit qu’il y avait des travaux et qu’il était momentanément perturbé. Et les douaniers, qu'est-ce qu'ils étaient longs! Mes bagages ont été passés au peigne fin. Ils croyaient que j'avais des armes, de la drogue, ou je ne sais quoi. Heureusement que j'avais noté par écrit tous mes vêtements. A plusieurs reprises je me plaignis, « Monsieur l'agent, il manque ça, ça et ça. Soit vous me les retrouvez, soit je porte plainte et je vais voir votre supérieur ». Puis on m’amena au bureau du supérieur. On parla plus d'une heure. Ils m'ont tout rapporté après m’avoir fouillé jusqu’au rectum. Pour vérifier si je ne transportais pas de drogue, soi-disant parce que je viens d’Italie. Bah, tu connais le cliché : Italie égale Mafia. Puis, je lui ai fait cadeau d'une chemise Versace. Ils voulaient me garder ces fous ! Ce qu'il ne savait pas le chef brigadier, c'est qu’il croyait que je l'avais acheté à Vintimille la chemise, et que c'était une contrefaçon ; s’il savait la fortune dont j’ai hérité grâce à la vieille Bertha, je crois que j’aurais été accueillis par les autorités royales de ce pays.

« Ensuite j’ai quitté l'aéroport. Il y avait plein de porteurs. Tous, ils voulaient que je les paie. Mais ils sont fous! D'autres, m'ont dit qu'ils étaient guides, « pas cher », « pas cher », me répétaient-ils. « Eh, Basta! ». Je suis allé vers celui qui ne disait rien. Mais quand j'ai vu l'hygiène de ses dents, j'ai changé d'avis. Et puis, on m’a montré une petite agence. Il est vrai, elle était un peu vétuste, mais comme j’avais vu d’autres gens y entrer, je me suis dit que ça devait être sérieux. J'y suis entré à mon tour, et je leur ai expliqué que je voulais être loin des masses touristiques, que je voulais la tranquillité, la sérénité, le calme. Ils ont acquiescé, souri, et m’ont dit que j’avais frappé à la bonne porte.

« Ils m’ont envoyé dans un petit patelin à une cinquantaine de kilomètres de Marrakech, à la porte du désert disaient-ils, plutôt au pied et au sud de la chaîne de l’Atlas. Je ne me rappelle plus du nom du village. Le moyen de locomotion était pour le moins étonnant. On nous avait chargés dans des pick-up. Puis on a fait le reste du voyage sur dos de mulet. 

(SUITE Dans la Partie 2)

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